mardi 14 janvier 2014

L'adieu

Je ne l'ai pas reconnue tout de suite
tant son masque m'était familier

L'absence de cette étincelle qui vous tire du lit au réveil

La flamme qui s'allume quand le soleil brille
vacille au gré des événements
et s'éteint quand la nuit tombe

La voix de l'ami qui s'est tue en vous

Et puis
devant la souffrance encore une fois revenue
cet imperceptible mouvement de l'âme
en quelques sortes anodin
ce recul qui prend voix
-Non, je ne veux pas de la vie.

Longtemps
chaque fois qu'il s'était manifesté
je l'avais accompagné dans la solitude
avec détermination
sans le lâcher d'une semelle
jusqu'à qu'il finisse par s'y dissoudre.

Cette présence attentive m'avait gardée du pire

Lui donner raison

L'habiller d'une brillante armure de mots
et devenir son soldat

Arborer les couleurs du désespoir
et porter son étendard.

Et maintenant que le ciel riait
et que le rêve avait la même clarté
je croyais le travail achevé.

Enfin
j'allais pouvoir me coucher dans le pré en fleurs
et me reposer

Alors seulement
elle m'est apparue.

C'est que
sans le savoir
je l'avais traquée jusque dans ses derniers retranchements
au plus profond du sommeil

Là où l'on pense
si faussement
que rien ne se trame
ni guerre, ni paix

Dans l'illusion de la tranquillité d'un illusoire néant.

Elle était là, la haine

Une violence en plein cœur
une insulte
une offense glaciale
qui se paraient de vertu.

Elle était là
toute pure
sans motif et sans objet
dénudée de son secret

Il lui avait juste fallu un prétexte
et la souffrance avait fait l'affaire

Celle-là même qu'elle provoquait

En son nom
la vie se voyait claquer la porte au nez comme une dangereuse intruse

L'étau s'était ainsi refermé sur le jardin de la mort
sans autre issue

Pas un mot sur mes lèvres
pas un cri dans ma gorge
pas un gargouillis dans ma poitrine
que le souffle n'avait pas même eu le temps de gonfler
et dont la force toute entière lui était dévolue

Mon corps était ravi
ma parole gelée
mon esprit capté
dans ses terrifiantes visions.

Mais voilà que
dans son dénuement
elle perdit d'un coup toute consistance

Et aussi simplement que cela
elle disparut
me laissant veuve d'un monde terriblement familier
où je ne renaîtrai plus.