Je dépose sur le papier les premiers mots de ce poème.
C'est un poème pour retrouver la joie d'être au monde.
Mais quels sont les mots de la joie ?
Car si la joie émerge du silence et qu'un mot, par miracle, s'en saisit pour lui donner voix, que peuvent les mots quand le silence ne laisse entendre qu'une tristesse infinie ?
Et pourtant, la joie, je sais qu'elle est là, quelque part, à l'intérieur, dans cet espace en moi qui n'est pas moi, dans cet ailleurs qui est ici, dans le doux mystère d'une présence autre et mienne à la fois.
En sommes, il suffirait de se tenir là.
Mais cela, justement, je ne le peux pas.
La voie du silence m'est interdite, comme elle l'est à tous ceux qui aiment un être qui ne la connaît pas.
Un être qui en a perdu la mémoire.
Un être qui ne la cherche pas.
Un être qui ne la cherche plus.
Un être qui a renoncé à la joie.
Ce renoncement qui survient quand la joie se croit acquise plutôt que donnée.
Quand elle se pense victoire sur l'adversité plutôt qu'ouverture sur l'impensé.
Quand elle s'imagine enfant d'un rêve enfin réalisé plutôt que mère d'un désir jamais épuisé.
Je dépose sur la papier les mots de ce poème, et je te vois, toi, emportée dans le courant de la mélancolie, sans résistance aucune et sans retour possible.
Car c'est en elle que demeure l'inconnaissance, ce qui fait sa force désespérée.
Un regard qui reste fixé sur un horizon disparu au lieu de se tourner vers l'intérieur.
Un regard absent de lui-même.
Je dépose sur le papier les mots de ce poème, mais la joie d'être au monde, ils passent à côté, car sans le sens, elle ne peut s'y incarner.
N'y aurait-il qu'un seul homme à ne pouvoir y accéder, cela serait déjà insensé.
Nombreux, comme toi, sont-ils pourtant.
Alors, si je dépose les mots de ce poème sur le papier, le sens, c'est pour le chercher.