lundi 27 avril 2020

Instants de deuil (2)

Quand ma mère est morte
je suis morte avec elle

C'est terrible d'être mort
quand on est encore vivant

            ...........

Etre dans l'instant
ce n'est pas oublier le passé
et ne pas regarder vers l'avenir

Au contraire

Dans l'instant
le passé est présent
et l'avenir est devant soi
ouvert

          ...........

Depuis que ma mère est morte
elle a cessé d'être absente
quand elle n'était pas présente 
dans le présent

Elle est présente dans le présent
c'est-à-dire dans le passé
et dans l'avenir

          ............

Quand ma mère était absente
elle me manquait

Mon avenir
c'était de retrouver sa présence

Maintenant
je manque
du manque de sa présence

Et quand ce manque se fait sentir
je ne vois plus mon avenir
je ne sais plus où aller








dimanche 26 avril 2020

Nuage de tendresse

Là où tu es
nuage de tendresse
peu importe le temps
qu'il fait

Les chemins se rejoignent
dans cet espace parfait
les nœuds
y sont défaits

Le cauchemar
démantelé s'éloigne
de ce palais
emporté par le vent

Et ce regard
qui doucement me soigne
de ses méfaits
est si profond

Que je peux
pressentir sa caresse
dans le trait
de son seul nom

samedi 25 avril 2020

Instants de deuil (1)

Cette nuit
ma mère est morte

C'était il y a bientôt quatre ans

Et pourtant
aujourd'hui comme hier
comme avant-hier
comme chaque jour passé depuis

Cette nuit
ma mère est morte

             ............

J'ai dix ans
j'ai vingt ans
j'ai quarante ans
j'ai cinquante ans

Et puis un jour
ma mère meurt

J'ai soixante ans
et je ne sais toujours pas
ce que je veux faire quand je serai grande

           ............

Un jour
ma mère est morte

Mais elle n'est pas morte

Elle est aussi vivante
que quand elle était vivante

Et même plus

          ............

Ma mère est morte d'une pneumonie

Je sais comment elle est morte
mais je ne sais pas pourquoi

C'est dans le creux de cette ignorance
que Dieu peut faire son travail




jeudi 23 avril 2020

Qu'est-ce donc que la vie

Toi qui pense savoir
d'où vient la mort
toi qui croit pouvoir
m'en protéger à tout prix
dis-moi 
dis-moi alors
qu'est-ce donc que la vie ?

Est-ce ce temps passé
recluse dans le mouroir
qu'est devenue 
cette chambre glacée
de n'être pas partagée
où tu m'as enfermée 
du matin jusqu'au soir ?

Est-ce ces longues heures 
perdues
dans les laboratoires
où tu observes mon corps
est-ce ces molécules
ces microparticules
ici analysées ?

Est-ce l'absence du cri
vibrant dans mes os perclus
de douleur
le silence de ce mal disparu 
endormi
par la morphine ?

Est-ce le souffle continu
de ce respirateur
auquel je suis branchée
dans une cabine
aseptisée ?

Est-ce l'obéissance
à tes savantes ordonnances
à manger pour manger
à boire pour boire
à marcher pour marcher ?

A courir pour courir
et ne pas voir le pire
parce que c'est bon pour mes organes
pour mon crâne
du moins en théorie ?

Et celui-là que j'aime
est-ce l'aimer
est-ce consoler sa peine
de le nourrir par cette lucarne
percée dans un mur
sans jamais le toucher
comme un vampire
impur ?

Le penses-tu vraiment
qu'on peut vivre sans tendresse
par les pores échangée
le crois-tu sûrement
qu'au lieu de son adresse
il suffit d'un médicament ?

Qu'à la chaleur humaine
qui demeure pourtant
quand je respire à peine
et même en mourant
je préfère les machines 
qui me préservent des angines 
seule dans ce havre
désinfecté
et gardent mon cadavre
vivant ?

Oui crois-tu que la vie
cela soit ça vraiment ?

Et penses-tu qu'ainsi
j'y tienne tellement ? 









vendredi 17 avril 2020

Aimer tellement

O ma mère qu'ici j'ai tant aimée
Toi que l'amour à mort a consumée
Pour toi mon coeur bat encore
Dans les graillons de mon corps
Sous l'écorce de mes jours
En ce temps de l'éternité
Où nous sommes pour toujours
Moi si douloureusement sur la terre
Toi si parfaitement dans l'éther



dimanche 5 avril 2020

Présentation

Présentation  par Michel Bénard du dernier recueil de poèmes de l'auteure dans la revue L'AGORA


 - Christiane Bozza«  Sur le fil »
Illustration photographique de Sacha Bauer- Schlichtegroll.
Editions des Poètes français – format 15x21 – nombre de pages 85 – 2 -ème trimestre 2019.



L’équilibre de la vie est bien précaire, fragile comme un poème au vent, posé «  Sur le fil .» C’est en composant ses poèmes que Christiane Bozza prend conscience de l’incertitude et de l’inconnu. Voici une écriture qui révèle beaucoup de sensibilité, elle est brodée à fleur de mot. Le poème tient toujours figure de questionnement. Tout chez Christiane Bozza n’est qu’une réflexion d’équilibre et de doute. Soudain tout peut s’effondrer, même les certitudes les mieux ancrées. Nous percevons chez elle une sensation d’égarement, de perte. La forme de l’écriture est libre, fragmentée, narrative autant qu’interrogative : « Et si tu n’en parles pas/ton corps le fera pour toi. » Le mot ici est porté comme un flambeau :  « Car vivre sans les mots/on ne le peut pas. » Notre auteure se méfie du silence qui voile souvent la vérité : « Un silence qui croit/qu’il peut/ce qu’il ne peut pas./Un silence qui étouffe ta voix. » Christiane Bozza nous dévoile un contentieux de jeunesse lié au père qui sera toujours manquant, sorte de blessure stigmatisante ouverte à vie. La plume en appelle aux souvenirs d’un vent de tendresse qui n’a jamais soufflé. Alors peut-être que la poèsie pour notre narratrice devient un baume, une douce caresse qui estompe les traumas de l’enfance. Parfois un ange passe. Poésie porteuse de vie et de nostalgie où s’égratigne la mémoire sur de fausses promesses. A vouloir trop l’aimer on tue la vie et par là même l’amour, alors mieux vaut :  « Laisser vivre les morts. » Le poème comme la vie sont des épreuves dont chaque jour nous délivre un fragment. Par un : « Poème de rien du tout.../... » prendre conscience de l’absolue vulnérabilité de l’existence.

Michel Bénard.      

http://www.societedespoetesfrancais.eu/revue.html

jeudi 2 avril 2020

Un cri

La naissance est un cri

Un cri qui ne sait pas
qu'il est un cri
qui ne sait pas
pourquoi
il se crie
ni vers quoi

Il ne sait pas
qu'il appelle
ni qui

La vie qui se crie
Le cri de la vie

Et si un autre ne répond pas
à ce cri
la vie ne se révèle
à celui qui naît
qui crie
il ne sait pas
qu'elle est là
en lui

Alors la vie
elle se fait la belle
elle s'en va
elle se retire
de lui

C'est pourquoi
sans un autre
que soi
sans les autres
il n'y a personne
personne n'est en vie
ni toi
ni moi
ni lui



mercredi 1 avril 2020

Au-dessus

Le champ désolé

au-dessus
les bulles de savon
soufflées par l'enfant
un peu plus loin
devant la maison
son jardin verdoyant
la porte ouverte à la chaleur
du printemps
de l'autre côté

Le champ désolé

ce n'est pas un enclos
abandonné
juste une terre oubliée
depuis longtemps
son herbe jaunie
illuminée par le ciel
les bourgeons rabougris
sous la boue séchée
le dessin des pierres
les fleurs imaginaires

Ô mon coeur
reviens ici !

Le champ de ma vie

les gens que j'ai connus
aimés
je les aime aussi
de l'autre côté
ils y sont
comme ces bulles de savon