vendredi 22 mai 2020

Ce qui est dit

Les mots ne viennent pas
pour dire
ce qu'on voudrait qu'ils disent

Ils ne disent pas le soleil
s'il ne brille pas,
ils ne disent pas le ciel
dans un caisson
d'isolation sensorielle,
ils ne disent pas l'amour
au séjour
de celui qui est seul
dans la vie

Ou alors
ils ne parlent que des morts
des absents
de ce qui n'est pas tel
qu'auparavant

C'est-à-dire
qu'ils ne disent rien

Ou encore
ils ordonnent

Ils ordonnent
sans en avoir l'air,
ils ordonnent le bien
sans savoir
qu'ils disent le contraire

C'est pourquoi
quand on use des mots
comme ça
pour dire ce qui n'est pas
on est sans parole

Car les mots viennent aussi
pour dire la nuit
et l'invisible
et l'ignorance,
pour dire ce qui est en souffrance

C'est pour ça qu'ils sont beaux

Car ils laissent au matin
au sensible
à la rencontre
au lendemain
leur chance
là où sans eux
il n'y aurait que vœux pieux

lundi 11 mai 2020

La confiance

Je cherche les mots de ce poème.

Ce sont des mots pour trouver la confiance.

La confiance dans cette vie-là, 
celle qu'il m'est donnée aujourd'hui de vivre.
Ou peut-être
pour la retrouver.

Mais alors que je voudrais les voir se dessiner dans l'empreinte laissée par mes pieds sur la terre
à chacun de mes pas,
comme les pétales de la fleur s'ouvrent 
comme le soleil brille
comme la pluie arrose le jardin
comme l'enfant naît
comme le sage s'émerveille
comme Dieu aime,
simplement,
au lieu de cela,
il me faut les chercher.

Je les cherche comme si
je ne les avais jamais entendus,
ni prononcés.

Comme s'il se pouvait
que la fleur soit sans pétales
que le soleil soit sans clarté
la pluie sans jardin
l'enfant sans naître
le sage sans s'émerveiller
Dieu sans aimer.

Je marche dans la boue des souvenirs,
dans la glace de l'instant,
dans les cendres de l'avenir,
où les mots de la confiance s'effacent avant même de s'être formés

comment s'écrivaient-ils donc ?

où ses images,
inconnues,
se troublent avant même de s'y imprimer

à quoi ressemblaient-elles donc ?

Je dépose sur le papier les mots de ce poème,
mais je sais maintenant que ce n'est pas ici qu'il me faut les chercher,
à la lumière de mes jours
ou sous leur tranchant lorsqu'elle disparaît.

Ils viennent d'ailleurs.

D'une planète qui se dérobe aussitôt qu'on croit l'habiter,
d'un espace qui se perd aussitôt qu'on croit le contempler,
d'une science qui se corrompt aussitôt qu'on croit la posséder,
d'une présence qui s'évapore aussitôt qu'on veut la nommer.

Ils viennent d'un plein silence
qui n'est pas celui de leur absence.

Je cherche les mots de ce poème pour trouver la confiance
là où elle s'est retirée.







dimanche 3 mai 2020

Promesse de jardin

Temps
des larmes

la joie s'abîme
en lambeaux

le désir se perd
au tombeau

mais la voix
du Vivant

est promesse
de jardin

Elle annonce
la lumière

qui fait passer
derrière

ce qui est
poussière

et tire
en arrière

L'appel est là
à vider

le chagrin
de ses embruns

à marcher
vers une légèreté

portée
par la clarté

de ce qui
a été

et que
la mort

ne peut
effacer

              Francine Carillo
                            

vendredi 1 mai 2020

Instants de deuil (3)

Quand ma grand-mère est morte
elle est passée de l'autre côté du voile

Là où elle est
elle veille sur moi

Quand ma mère est morte
elle est passée de l'autre côté du voile

Là où elle est
se trouve le seul refuge

          ...........

Ma mère nous a quittés bien avant de mourir

Elle était là
mais on ne savait pas où elle était

Elle nous a quittés
parce qu'elle ne pouvait plus vivre
ce qu'elle avait envie de vivre

Et elle n'avait plus envie de vivre
ce qu'elle vivait

Et cela
rien ne l'expliquait
ni dans son corps
ni dans son esprit
ni dans son cerveau
ni dans son histoire

Je sais pourquoi elle nous a quittés
mais je ne sais pas comment

C'est dans la béance de cette question
que le diable trouve à travailler

          ,,,,,,,,,,,

Les dernières années de la vie de ma mère
ont été un cauchemar

Mais elle était là

Maintenant
le cauchemar est terminé

Mais elle n'est plus là

D'elle
il me reste le souvenir de ce cauchemar

Et c'est un cauchemar bien pire

          ...........

Quand je me souviens des moments heureux
passés avec ma mère
elle me manque

Et c'est douloureux

Quand je me souviens des moments douloureux
passés avec elle
son bonheur me manque

Et ça
ça me fait mal

Je voudrais ne me souvenir
que de son bonheur à elle

Peut-être me manquerait-elle moins ?